Le chemin des Cathédrales / Raison et foi /Le débat intellectuel

 
 
 Le débat intellectuel
Le Moyen Age a été préoccupé par le retour du raisonnement logique, au point de s’attacher à une question que les croyants n’avaient jamais posée dans ces termes: “la raison s’oppose-t-elle à la foi?” De cette exigence intellectuelle est née l’Université.
 

Citations :Farid-ud-Din’Attar
Avicenne
Avicenne
Averroès
Thomas d’Aquin (XIIIe siècle)
Thomas d’Aquin (XIIIe siècle), Dieu est-il en toutes choses?
Thomas d’Aquin (XIIIe siècle), Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses?


 
Farid-ud-Din’Attar
Le mémorial des saints, Seuil. Traduit par A. Pavet de Courteille, p.151

On rapporte que Dsou’n-Noun disait - “Un jour, comme j’étais en voyage, j’arrivai à une plaine toute couverte de neige. Je vis un adorateur du feu qui y répandait du millet. Ô infidèle! lui dis-je, pourquoi répands-tu ce millet? - Aujourd’hui, répondit-il, comme il a neigé, j’ai réfléchi que les oiseaux ne trouveraient pas de grain et j’ai répandu ce millet pour qu’ils puissent le recueillir; et puis j’espère que le Seigneur très haut aura peut-être pitié de moi. - Le grain que sème un profane, fis-je observer, ne germe pas; or tu es un profane. - Eh bien, reprit l’infidèle, si Dieu n’accepte pas mon offrande, du moins puis-je espérer qu’il voit ce que je fais! - Assurément il le voit, repris-je. - S’il le voit, fit-il, cela me suffit. Une fois arrivé au but du pèlerinage, je vis cet infidèle en train de faire le tavâf. Lui, de son côté, m’ayant vu, me reconnut et me dit: 0 Dsou’n-Noun! le Seigneur très haut, témoin de l’acte que j’accomplissais, l’a agréé. Le grain que j’ai répandu à terre a germé, car Dieu m’a fait don de la foi et m’a conduit jusque dans sa maison.” “En le voyant, ajoutait Dsou’n-Noun, je me sentis heureux et m’écriai: Mon Dieu, tu donnes le paradis à un infidèle pour une poignée de millet! Alors j’entendis une voix qui disait: 0 Dsou’n-Noun! la miséricorde et la générosité du Seigneur très haut sont immenses.”
 


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Avicenne
La métaphysique du Shifa, livres VIà X, introduction, traduction et notes par Georges C. Anawati, Paris

Il nous est apparu. que pour le tout il y a un Principe nécessairement existant et qui n’entre pas sous un genre, ou qui ne tombe pas sous une défìnition i ou une démonstration, exempt de la quantité, de la qualité, de la quiddité, ubi et du quando et du mouvement qui n’a ni égal, ni associé, ni contraire ; qui est un à tous les points de vue parce qu’il n’est divisé ni en parties en acte ni en parties par supposition et par imagination comme le continu, ni dans l’esprit, en sorte que son essence serait composée d’intentions intellectuelles diverses dont la réunion ferait un tout ; qu’il est un en tant qu’il ne partage d’aucune fagon l’existence qu’il possède. Il est par cette unité singulier (fard). Il est un parce qu’il a une existence parfaite; il ne lui reste rien à recevoir pour qu’il devienne parfait. C’est là un des aspects de l’un. Mais l’un n’est en lui que par mode de négation non comme l’un [qui se dit] des corps en raison de la continuité ou de la conjonction ou pour d’autres choses du méme genre où se trouve l’un d’une unité qui est une intention existentielle qui suit une essence ou des essences. Et tu as vu clairement, d’après ce qui a été dit dans les sciences physiques, qu?il existe une puissance infinie, incorporelle, qu’elle est le Principe du mouvement premier. Tu as vu clairement que le mouvement circulaire n’est pas engendré selon une génération temporelle. Il t’est apparu de là, d’une certaine manière, que c’est un principe qui a une existence éternelle. Tu as vu après cela* que le nécessairement existant par lui-méme est nécessairement existant de toutes manières, et qu’il est impossible que lui arrive dans le futur un état qui ne serait pas encore. Avec cela tu as vu clairement que la cause, [considérée] en elle-méme, entraine nécessairernent le causé; quand elle dure, elle nécessite l’effet éternellement (dá’iman).
 


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Avicenne
La métaphysique du Shifa, livres VIà X, introduction, traduction et notes par Georges C. Anawati, Paris

Et je dis que du désir méme de l’assimilation avec le Premier [en tant quel selon qu’il est en acte, émane le mouvement de la sphère céleste selon l’émanation de la chose à partir de l’imagination qui la rend nécessaire, bien que cette chose ne soit pas objet d’intention en elle-même, en première intention. En effet, cette imagination étant l’imagination de ce qui est en acte, il se produit à partir d’elle une recherche de ce qui est le plus parfait en acte et cela n’est pas possible pour l’individu. Alors cela a lieu par succession et c’est le mouvement. En effet l’individu, tant qu’il dure, ses semblables ne passent pas à l’existence, mais restent toujours en puissance.

Le mouvement suit également cette représentation imaginative visée selon ce mode et non cependant qu’il soit premièrement objet d’intention, bien que cette représentation soit suivie d’autres représentations particulières, que nous avons mentionnées et expliquées, par mode de jaillissement non par mode d’objet premier d’intention. Et suivent ces représentations particulières, les mouvements par lesquels il y a transport dans les situs. Et une partie à elle seule, dans sa perfection, n’est pas possible dans ce lieu. Le désir premier sera donc i selon ce que nous avons mentionné et les autres choses qui le suivent sont des jaillissements.

Et ces choses, on peut leur trouver des correspondants éloignés dans nos corps qui ne leur sont pas proportionnés bien que parfois ils en donnent l’impression et les imitent; par exemple, si le désir à l’égard d’un ami ou d’autre chose devient fort, il se forme en nous des phantasmes (takhayyuIdt), par mode de jaillissement, que suivent des mouvements qui ne sont pas des mouvements vers le désiré lui-méme, mais des mouvements vers une chose sur son chemin et sa voie et qui est le plus proche de lui.

Donc le mouvement de la sphère céleste se produit par la volonté et le désir selon ce mode. Et le principe de ce mouvement est un désir et une élection, mais selon le mode que nous avons mentionné, non pas que le mouvement soit ce qui est l’objet d’intention premier. Ce mouvement est comme un culte (’ibáda) angéIique ou céleste. Et ce n’est pas une condition du mouvement volontaire qu’il soit l’objet d’intention en lui-méme. Mais quand la puissance appétitive désire quelque chose, d’elle alors efflue une impression (ta’thir) qui met en mouvement les membres. Parfois ils se meuvent selon le mode qui fait parvenir au but (gharad) et parfois selon un autre mode semblable i ou approché de lui s’il provient d’une imagination. Et cela soit que le but (gharad) désiré soit quelque chose d’accessible ou quelque chose qu’on imite, à l’exemple duquel on doive agir, ou à l’existence duquel on s’assimile.

Quand la délectation a lieu par l’intellectation du premier principe et par l’appréhension de ce qui est intelligé de lui ou saisi de lui selon un mode intelIcctuel ou psychique, alors elle est occupée à cela à l’exclusion de toute autre chose, et selon toute direction. Mais il jaillit de cela ce nui lui est inférieur en depré et c’est le désir de ressemblance avec lui dans la mesure du possible. Il en résulte alors nécessairement, la recherche du mouvement non en tant que mouvement mais selon ce que nous avons dit. Et suit ce désir et cet amour jaillissant de lui et cette perfection jaillit du désir. Et selon ce mode, le Premier principe meut le corps céleste.

Et il t’a apparu. de cet ensemble aussi que le Premier Maltre quand il dit que le ciel se meut I naturellement, [tu sais] ce qu’il veut dire: ou qu’il dit qu’il se meut par Fáme, ce qu’il veut dire; et quand il dit qu’il se meut par une puissance infinie, il se meut comme [l’amant] est mú par l’aimé, ce qu’il veut dire, et qu’il n’y a donc pas de contradiction dans ses paroles ni diversité.

Ensuite tu sais que la substance de ce bien aimé prernier est une et il n’est pas possible que ce moteur premier de l’ensemble des cieux soit plus qu’un, bien que pour chacune des sphères du ciel il y a un moteur proche qui lui est propre et un désir et un aimé propre, selon ce qu’a vu le Premier Maitre, et après lui les plus savants des péripatéticiens ; ils n’ont nié la pluralité que du moteur du tout et ils affirment la pluralité des mouvements séparés et non séparés qui sont propres à chacun d’eux. Ils posent comme premier des [moteurs] séparés propres, le moteur de la première sphère ; et c’est, pour ceux qui ont précédé Ptolémée, la sphère des étoiles fixes. Mais pour ceux qui ont appris dans les sciences de Ptolémée, c’est la sphère extérieure à elle, l’enveloppant, dépourvue d’étoìles, et après cela, il y a le moteur de la sphère qui suit la première, selon la diversité des deux opinions. Et ainsi de suite.

Ceux-ci estiment en effet, que le moteur du tout est un et qu’il y a, après cela, pour toute sphère, un moteur propre. Le Premier Maitre a posé le nombre des sphères mobiles selon ce qui avait paru de son temps et [affirme] que son nombre suit le nombre des principes séparés. Mais un de ses partisans qui a une pensée plus judicìeuse, déclare et dit dons son épItre qui traite des Principes il du tout, « que le moteur de l’ensemble du ciel est un, il ne peut pas étre un nombre, bien que chaque sphère a un moteur et un aimé qui lui sont propres ». Et celui dont les expressions sur les livres du Premier Maltre sont par mode de résumé bien qu’il n’en pénètre pas profondément le sens, déclare et dit à peu près ceci : que le plus probable et le plus vraisemblable, c’est l’existenee du principe d’un mouvement propre pour tout corps céleste se trouvant en lui et l’existence d’un principe de mouvement propre à lui en tant qu’il est aimé séparé. i Et ces deux [auteurs] sont parmi les plus anciens disciples du premier Maltre, ceux qui se sont le plus rapprochés de la voie droite.

Ensuite la démonstration nécessite cela. Car il nous a paru. comme vrai dans la doctrine de l?Almageste, que les mouvement et les sphères célestes sont nombreux et divers quant à la direction, la vitesse et la lenteur. Il faut donc pour chaque mouvement un moteur autre que celui de l’autre et un désiré autre que celui de l’autre, sinon les directions ne seraient pas diverses, et ne seraient pas diverses la vitesse et la lenteur. Or nous avons montré que ces « desiderata » sont des biens purs séparés de la matière bien que i toutes les sphères et les mouvements communiquent dans le désir du Premier Principe; et elles communiquent à cause de cela à la pérennité du mouvement et de sa circularité. Nous expliquerons cela davantage.

 


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Averroès
Averroès, discours décisif, trad. Marc Geoffroy, introduction Alain de Libera, Paris: GF 1996, ch.18

Puisque donc cette Révélation est la vérité, et qu’elle appelle à pratiquer l’examen rationnel qui assure la connaissance de la vérité, alors nous, Musulmans, savons de science certaine que l’examen [des étants] par la démonstration n’entraînera nulle contradiction avec les enseignements apportés par le Texte révélé : car la vérité ne peut être contraire à la vérité, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur. Il nous faut savoir que la finalité de la Révélation se ramène à ceci: enseigner la science vraie et la pratique vraie. La science vraie, c’est la connaissance de Dieu - Béni et exalté soit-Il - et de l’ensemble des étants tels qu’ils sont, - en particulier les plus sublimes d’entre eux -, et la connaissance de la béatitude et des tourments dans l’au-delà. La pratique vraie consiste dans l’accomplissement des actes qui assurent la béatitude, et l’évitement des actes qui valent les tourments. La connaissance de ces actes se nomme la science pratique.
 


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Thomas d’Aquin (XIIIe siècle)
“Somme contre les Gentils”, Paris, Cerf, 1993, trad. R.Bernier et M.Corvez, I, 7, p.28

“Seul le faux étant le contraire du vrai (...), il est impossible que la vérité de foi soit contraire aux principes que la raison connaît naturellement.”
 


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Thomas d’Aquin (XIIIe siècle), Dieu est-il en toutes choses?
Somme Théologique, 1a, qu.8, art.1

CEPENDANT, là où un être agit, là il est; or Dieu agit dans tous les êtres, selon ce que dit Isaïe: “Toute notre œuvre, c’est vous qui l’avez faite pour nous.” CONCLUSION : Dieu est dans tous les êtres, non comme une part de leur essence, ou comme un attribut, mais comme l’agent est présent à ce qu’il actionne. il est nécessaire en effet que tout agent soit conjoint à l’être où il agit immédiatement, et qu’il le touche par sa vertu. Aussi, dans la Physique d’Aristote (VII, II 1 243 a 4), est-il prouvé que le moteur et le mobile doivent être au contact. Or, Dieu étant l’être même par essence, il est nécessaire que l’être créé soit son effet propre, comme brûler est l’effet propre du feu. Et cet effet est causé par Dieu dans les choses non seulement quand les choses commencent à être, mais aussi longtemps qu’elles subsistent, comme la lumière est causée dans l’air par le soleil tant que l’air est illuminé. Aussi longtemps donc qu’une chose possède l’être, il faut que Dieu lui soit présent, et cela conformément à la manière dont elle possède l’être. Or, l’être est en chaque chose ce qu’il y a de plus intime et de plus profondément inhérent, puisqu’il joue à l’égard de tout ce qui est en elle le rôle de forme, de principe déterminateur, ainsi qu’il a été dit. On en doit conclure nécessairement que Dieu est en toutes choses, et d’une manière intime.
 


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Thomas d’Aquin (XIIIe siècle), Dieu est-il universellement parfait, contenant en lui les perfections de toutes choses?
Somme Théologique, Tome premier, question 4, art.2

CEPENDANT, Denys a dit (De Div.Nom.V § 4. PG 3, 817): “Dieu, par sa seule existence, possède d’avance tout le reste.”
CONCLUSION: Oui certes, les perfections de toutes choses sont en Dieu : aussi est-il dit universellement parfait, parce que de toutes les perfections qu’on peut découvrir dans tous les ordres, aucune ne lui manque, ainsi que l’affirme le Commentateur [Averroès] dans la Métaphysique (Metaph. V, com.21). C’est ce qu’on peut démontrer de deux façons. Voici la première.
Tout ce qu’il y a de perfection dans l’effet doit se retrouver dans la cause efficiente, que ce soit en nature propre, comme lorsqu’il s’agit d’un agent univoque: ainsi l’homme engendre l’homme, ou bien éminemment, dans le cas de l’agent équivoque, comme dans le soleil se trouve l’équivalent de ce qui est engendré par la vertu solaire [29]. Car il est évident que tout effet préexiste virtuellement dans sa cause agente, et préexister ainsi virtuellement, quand il s’agit de la vertu agente, ce n’est pas préexister d’une façon moins parfaite, mais plus parfaite, bien que préexister en la puissance d’une cause matérielle soit préexister plus imparfaitement. C’est que la matière, comme telle, est imparfaite [301; au contraire, l’agent, comme tel, est parfait. Comme donc Dieu est première cause efficiente des choses, les perfections de toutes choses doivent préexister en Dieu selon un mode supérieur. Denys signale cette raison quand il dit de Dieu: “Il n’est pas ceci à l’exclusion de cela: mais il est tout, en tant que cause de tout.” (De div.nom. V §8. PG 3, 824)
La seconde raison est celle-ci. Nous avons démontré que Dieu est l’être même subsistant en soi: il s’ensuit évidemment qu’il contient en soi toute la perfection des êtres. Car si par exemple un corps chaud n’a pas en lui toute la perfection de la chaleur, c’est qu’il ne participe pas dans sa plénitude ce qui correspond à la nature de cet attribut : la chaleur. Mais si la chaleur elle-même subsistait, rien ne pourrait lui manquer comme pouvoir propre à la chaleur. Comme donc Dieu est l’être même subsistant, rien ne peut lui manquer de la perfection de l’être. Or, toutes les perfections des choses se rattachent à la perfection de l’être; car les choses sont parfaites selon qu’elles ont l’être de telle ou telle manière [31]. D’où il suit que Dieu ne manque de la perfection d’aucune créature. Et cette raison encore a été indiquée par Denys quand il a dit (De div. nom. V,1,§4. PG 3,817): “Dieu n’est pas de telle ou telle manière; il est absolument, et, sans contour limitateur, il ramasse en son unité tout l’être.” Un peu plus loin il ajoute: “C’est lui qui est l’être de tout ce qui subsiste.”
SOLUTIONS : I. Qu’on ne craigne pas de ce fait pour la simplicité de Dieu; car, ainsi que l’explique le même Denys (De div. nom. V,1,§4. PG 3,817), “le soleil, un en lui-même et luisant également pour tous, n’en contient pas moins virtuellement, d’avance, dans l’unité de son action, tout ce qui appartient aux substances et aux qualités nombreuses et diverses issues de son influence: ainsi, à bien plus forte raison, il est nécessaire qu’en la cause universelle préexistent toutes choses unifiées en sa propre nature.” Et c’est ainsi que des choses diverses et opposées en elles-mêmes préexistent en Dieu réduites à l’unité, sans faire tort à sa simplicité parfaite.
 


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De l’intuition symbolique à la logique rationnelle
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Le débat foi et raison entre les savants juifs, musulmans et chrétiens.
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