Histoires de Rome / Les premiers Chrétiens /La violence des dernières persécutions

 
 
 La violence des dernières persécutions
Le sang des martyrs a coulé partout dans la Rome antique, puisque la loi autorisait leur mise à mort sur le lieu de leur arrestation, sur les marches des temples, devant le bureau des édiles. Cependant la passion populaire pour «les jeux» a fait réserver le plus grand nombre des supplices aux spectacles du cirque, aussi est-ce là que la mémoire chrétienne honore le souvenir des persécutions.
 

Citations :Le martyre de saint Cyprien
Lettre de Pline le Jeune à l’empereur Trajan au sujet des chrétiens (année 111-113)
Réponse de l’empereur Trajan à Pline
Sénèque
Le martyre de Saturus
Le martyre de Perpétue et Félicité
Justin
Marc Aurèle
Pape Damase
Edit de Dioclétien, année 297
Eusèbe de Césarée sur les persécutions
Eusèbe de Césarée sur les martyrs de Palestine
Lactance
Jérôme Carcopino
Thomas Becket


 
Le martyre de saint Cyprien
‘Les premiers martyrs dans l’Eglise’, coll. Les Pères dans la foi, ed. Desclée De Brouwer

“C’était sous le quatrième consulat de Valérien et le troisième de Gallien, le trois des calendes de septembre, à Carthage, dans la salle d’audience.
Le proconsul Paternus dit à Cyprien: “Les très saints Empereurs Valérien et Gallien ont daigné m’adresser une lettre pour m’informer de leur volonté: ceux qui ne pratiquent pas la religion romaine doivent prendre part aux cérémonies. En conséquence j’ai fait une enquête à ton sujet. Qu’as-tu à répondre?”
L’évêque Cyprien: Je suis chrétien et évêque. Je ne connais pas d’autres dieux que le Dieu unique et véritable, celui qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment. C’est ce Dieu que nous servons, nous, chrétiens. C’est lui que nous prions, jour et nuit, pour nous et pour tous les hommes comme pour le salut des empereurs eux-mêmes.
- Donc tu persistes dans cette résolution?
- Une résolution droite qui connaît Dieu ne peut changer.
- Veux-tu donc partir en exil à Curubis, car tel est l’ordre de Valérien et de Gallien?
- Je pars.
- Mes instructions ne concernent pas seulement les évêques; c’est aussi au sujet des prêtres qu’on a daigné m’écrire. En conséquence je veux savoir de toi le nom des prêtres qui demeurent dans cette ville.
- Vos lois interdisent à bon droit la délation. Aussi ne puis-je livrer ces prêtres, on les trouvera dans leurs cités.
- Pour mon compte, mon enquête porte aujourd’hui sur notre cité.
- La discipline interdit de se livrer soi-même; toi aussi, tu blâmerais cet acte. Les prêtres ne peuvent donc se livrer eux-mêmes. Mais ton enquête les fera découvrir.
- Je les découvrirai.
Et il ajouta: Il est également défendu de tenir une réunion où que ce soit et d’entrer dans les cimetières. En conséquence tous ceux qui enfreindront cette défense si sage encourront la peine capitale.
- Fais ce qui t’a été commandé.
Alors le proconsul Paternus fit déporter le bienheureux évêque Cyprien au lieu de son exil.
Cyprien se trouvait en exil depuis longtemps, quand au proconsul Aspasius Paternus succéda le proconsul Galerius Maximus. Celui-ci fit revenir de son exil le saint évêque Cyprien et comparaître devant lui. Cyprien, le saint martyr de Dieu, revint donc de Curubis, où l’avait exilé l’ordre d’Aspasius Paternus, qui était proconsul à cette époque. Un rescrit sacré l’avait autorisé à se tenir dans sa villa de Carthage. Là il attendait tous les jours qu’on vînt l’arrêter, car un songe l’en avait averti.
Il s’y trouvait quand deux officiers se présentèrent. L’un était écuyer d’état-major du proconsul Galerius Maximus, successeur d’Aspasius Paternus, l’autre était écuyer des équipages, au même service. C’était le jour des ides de septembre, sous le consulat de Tuscus et de Bassus. Les officiers firent monter Cyprien dans leur voiture, s’assirent à ses côtés et le conduisirent à Sexti, où le proconsul Galerius Maximus s’était retiré pour refaire sa santé.
Le proconsul ajourna l’affaire au lendemain. Cyprien fut alors conduit et interné chez l’un des officiers, l’écuyer d’état-major du proconsul et clarissime Galerius Maximus. Il demeura chez cet officier, devenu son hôte, au quartier de Saturne, entre la rue de Vénus et la rue Salutaire. Là, se réunit tout le peuple des frères. Quand Cyprien le sut, il demanda de veiller sur les vierges; car la foule stationnait dans la rue, devant la porte de la maison.
Le lendemain, le 18 des calendes d’octobre, dès le matin, une foule immense qui avait eu vent de l’ordre donné par le proconsul Galerius Maximus se réunit à Sexti. Mais le proconsul ordonna de lui amener Cyprien, le même jour, à l’atrium Sauciolum, où il siégeait. C’est là que comparut Cyprien.
Le proconsul Galerius Maximus: C’est bien toi, Thascius Cyprianus?
L’évêque Cyprien: C’est moi.
Le proconsul: C’est toi qui t’es présenté comme le pape de ces hommes impies?
L’évêque: C’est moi.
Le proconsul: Les très saints Empereurs t’ont ordonné de sacrifier.
Cyprien: Je ne le ferai pas.
Le proconsul: Prends garde à toi.
Cyprien: Fais ce qui t’a été commandé. Dans une affaire si claire il n’y a pas lieu de délibérer.
Galerius Maximus délibéra avec son conseil et rendit avec peine et regret cette sentence: “Longtemps tu as vécu en sacrilège; tu as groupé autour de toi en grand nombre les complices de ta conspiration coupable. Tu t’es constitué l’ennemi des dieux romains et de leur culte sacré. Les pieux et saints Empereurs Valérien et Gallien, Augustes, et Valérien, le très noble César, n’ont pu te ramener à l’observance des cérémonies du peuple romain. Tu as été convaincu d’être l’instigateur et le porte-enseigne des plus grands crimes. En conséquence, tu servira d’exemple à ceux que tu t’es associés dans le mal. Par ton sang, sera sanctionné le respect des lois.”
Après ces considérants, le proconsul lut son arrêt sur la tablette: “Thascius Cyprianus périra par le glaive, ainsi nous l’ordonnons.”
L’évêque Cyprien dit: “Deo gratias (Grâces à Dieu)”.
Après cette sentence, le peuple des frères disait: “Nous aussi, qu’on nous décapite avec lui!” Une grande agitation s’éleva au milieu des frères et c’est en masse qu’ils escortèrent le martyr.
Cyprien fut conduit au Champ de Sexti. Là, il se dépouilla de son manteau de bure, s’agenouilla et se prosterna contre terre pour prier le Seigneur. Ensuite, il enleva sa dalmatique et la remit aux diacres. Et debout, en tunique de lin, il attendit le bourreau.
Quand le bourreau fut arrivé, l’évêque ordonna à ses gens de lui compter vingt-cinq pièces d’or. Déjà, les frères étendaient devant le martyr des toiles de lin et des serviettes. Le bienheureux Cyprien noua lui-même le bandeau sur ses yeux. Ne pouvant se lier les mains, il fit nouer les cordons par le prêtre Julianus et le sous-diacre Julianus. Ainsi s’acheva le martyre du bienheureux Cyprien.
On déposa provisoirement le corps d’abord dans le voisinage afin de le soustraire à la curiosité des païens. La nuit venue, on le transporta, à la lueur des cierges et des torches, au milieu des prières, en grand triomphe, au cimetière du procurateur Macrobius Candidatus, sur la route de Mappala, près des Piscines.
Peu de jours plus tard, mourut le proconsul Galerius Maximus.
Le martyre du bienheureux Cyprien eut lieu le 18 des calendes d’octobre, sous les Empereurs Valérien et Gallien, mais sous le règne de notre seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent l’honneur et la gloire dans les siècles des siècles! Amen.”
 


haut de la page

 
Lettre de Pline le Jeune à l’empereur Trajan au sujet des chrétiens (année 111-113)
“J’ai coutume, Seigneur, de m’en référer à toi, pour tout ce qui soulève quelque doute. Qui pourrait mieux diriger mon hésitation ou éclairer mon ignorance? Je n’ai jamais eu affaire aux chrétiens. Aussi ignorais-je si et jusqu’à quel point il faut les châtier ou les poursuivre.
Je me suis demandé s’il fallait distinguer leur âge, agir à l’égard des jeunes comme des adultes, s’il fallait accorder le pardon à ceux qui se repentaient ou tenir compte de ceux qui renonçaient à demeurer chrétiens; si le seul nom chrétien, sans autre crime exigeait châtiment ou s’il fallait punir les crimes attachés au nom. En attendant, voici la règle que j’ai suivie à l’égard de ceux qui m’ont été déférés comme chrétiens.
Je leur ai posé la question s’ils étaient chrétiens. Ceux qui ont passé aux aveux, je les ai interrogés une seconde et une troisième fois, en les menaçant du supplice. Ceux qui ont persisté, je les ai fait conduire à la mort. Un point est hors de doute pour moi, quelle que fût la nature du délit avoué, l’entêtement, l’obstination inflexible devaient absolument être punis. D’autres atteints de la même folie exhibaient leur titre de citoyens romains; je les ai assignés pour être renvoyés à Rome.
Puis, au cours de la procédure, l’accusation prenant des formes diverses, plusieurs cas se sont présentés. On déposa un libelle anonyme, contenant beaucoup de noms. J’ai cru devoir faire relâcher ceux qui niaient être ou avoir été chrétiens, quand ils invoquaient après moi les dieux, qu’ils suppliaient par l’encens ou le vin ton image que j’avais apportée à cet effet avec les statues des divinités ou s’ils maudissaient Christus, ce que la force elle-même ne peut arracher, dit-on à ceux qui sont vraiment chrétiens.
D’autres, dénoncés par le délateur, ont d’abord affirmé qu’ils étaient chrétiens, mais bientôt le nièrent, avouant qu’ils l’avaient été, mais qu’ils avaient cessé de l’être les uns depuis trois ans, d’autres depuis plus longtemps encore, l’un ou l’autre depuis vingt ans. Tous ceux-là ont vénéré ton image et les statues des dieux et maudit Christus.
Ils affirmaient que toute leur faute ou toute leur erreur s’était bornée à se réunir habituellement à jour fixe, avant l’aube, pour chanter en choeurs alternés des hymnes au Christ comme à un dieu; à s’engager par serment non à quelque crime, mais à ne pas commettre de vol, de brigandage, d’adultère, à ne pas manquer à la foi jurée, à ne pas nier un dépôt réclamé. Ils reconnaissaient aussi avoir coutume de se retirer, puis de se retrouver pour prendre ensemble un repas mais un repas ordinaire et inoffensif. Et même ils avaient cessé cette pratique depuis l’édit par lequel, conformément à tes ordres, j’avais interdit les hétéries.
Il m’a paru nécessaire de recourir à la torture pour savoir le vrai pour deux servantes de celles qu’on appelle diaconesses. Je n’ai trouvé qu’une superstition pernicieuse et démesurée. J’ai donc suspendu l’instruction afin de te consulter. L’affaire m’a paru le mériter, surtout à cause du nombre de ceux qui sont en péril. Un grand nombre de personnes de tout âge et de toute condition, des deux sexes sont ou seront appelées en justice. Ce ne sont pas seulement les villes, ce sont les bourgs et les campagnes que cette superstition contagieuse a gagnés. Je crois qu’on pourrait l’arrêter et y porter remède.
De fait on a déjà pu constater que les temples qui étaient à peu près abandonnés ont recommencé à être fréquentés; les fêtes solennelles longtemps interrompues ont été reprises; on remet en vente des viandes sacrifiées qui ne trouvaient plus que de rares acheteurs. Il est donc facile de concevoir le nombre de personnes que l’on pourrait ramener, si on laissait la place au repentir.”

Texte latin:
“Sollemne est mihi, domine, omnia, de quibus dubito, ad te referre. Quis enim potest melius vel cunctationem meam regere vel ignorantiam instruere?
Cognitionibus de Christianis interfui numquam; ideo nescio, quid et quatenus aut puniri soleat aut quaeri.
Nec mediocriter haesitavi, sitne aliquod discrimen aetatum, an quamlibet teneri nihil a robustioribus differant, detur paenitentiae venia, an ei, qui omnino Christianu fuit, desisse non prosit, nomen ipsum, si flagitiis careat, an flagitia cohaerentia nomini puniantur. Interim (in) iis, qui ad me tamquam Christiani deferebantur, hunc sum secutus modum. Interrogavi ipsos, an essent Christiani. Confitentes iterum ac tertio interrogavi supplicum minatus; perseverantes duci iussi. Neque enim dubitabam, qualecumque esset, quod faterentur, pertinaciam certe et inflexibilem obstinationem debere puniri. Fuerunt alii similis amentiae, quos, quia cives Romani erant, adnotavi in urbem remittendos. Mox ipso tractatu, ut fieri solet, diffundente se crimine plures species inciderunt.
Propositus est libellus sine auctore multorum nomina continens; qui negabant esse se Christianos aut fuisse, cum praeeunte me deos appellarent et imagini tuae, quam propter hoc iusseram cum simulacris numinum adferri, ture ac vino supplicarent, praeterea maledicerent Christo, quorum nihil cogi posse dicuntur, qui sunt re vera Christiani, dimittendos esse putavi.
Alii ab indice nominati esse se Christianos dixerunt et mox negaverunt; fuisse quidem, sed desisse, quidam ante triennium, quidam ante plures annos, non nemo etiam ante viginti. (Hi) quoque omnes et imaginem tuam deorumque simulacra venerati sunt et Christo maledixerunt.
Adfirmabant autem hanc fuisse summam vel culpae suae vel erroris, quod essent soliti stato die ante lucem convenire carmenque Christo quasi deo dicere secum invicem seque sacramento non in scelus aliquod obstringere, sed ne furta, ne latrocinia, ne adulteria committerent, ne fidem fallerent, ne depositum appellati abnegarent. Quibus peractis morem sibi discedendi fuisse rursusque coeundi ad capiendum cibum, promiscuum tamen et innoxium; quod ipsum facere desisse post edictum meum, quo secundum mandata tua hetaerias esse vetueram. Quo magis necessarium credidi ex duabus ancillis, quae ministrae dicebantur, quid esset veri, et per tormenta quaerere. Nihil aliud inveni quam superstitionem pravam, immodicam.
Ideo dilata cognitione ad consulendum te decurri. Visa est enim mihi res digna consultatione, maxime propter periclitantium numerum; multi enim omnis aetatis, omnis ordinis, utriusque sexus etiam, vocantur in periculum et vocabuntur. Neque civitates tantum, sed vicos etiam atque agros superstitionis istiu contagio pervagata est; quae videtur sisti et corrigi posse. Certe satis constat prope iam desolata templa coepisse celebrari et sacra sollemnia diu intermissa repeti passimque venire victimarum (carnem), cuius adhuc rarissimus emptor inveniebatur. Ex quo facile est opinari, quae turba hominum emendari possit, si sit paenitentiae locus.”

 


haut de la page

 
Réponse de l’empereur Trajan à Pline
“Tu as suivi la marche que tu devais, cher Secundus, dans l’examen des causes de ceux qui ont été déférés à ton tribunal comme chrétiens. En pareille matière, en effet, on ne peut établir une règle fixe pour tous les cas. Il ne faut pas les rechercher; si on les dénonce et qu’ils passent aux aveux, il faut les punir. Celui toutefois qui nie être chrétien et qui prouve son affirmation par ses actes, c’est-à-dire en adressant des supplications à nos dieux, obtiendra le pardon comme récompense de son repentir, quels que soient les soupçons qui pèsent sur lui pour le passé. Pour ce qui est des dénonciations anonymes, dans quelque accusation que ce soit, il n’en faut pas tenir compte; c’est un procédé exécrable indigne de notre temps.”

Texte Latin:
“Actum, quem debuisti, mi Secunde, in excutiendis causis eorum, qui Christiani ad te delati fuerant, secutus es. Neque enim in universum aliquid, quod quasi certam formam habeat, constitui potest. Conquirendi non sunt; si deferantur et arguantur, puniendi sunt, ita tamen, ut, qui negaverit se Christianum esse idque re ipsa manifestum fecerit, id est supplicando dis nostris, quamvis suspectus in praeteritum, veniam ex paenitentia impetret. Sine auctore vero propositi libelli (in) nullo crimine locum habere debent. Nam et pessimi exempli nec nostri saeculi est.”

 


haut de la page

 
Sénèque
Lettre VII,5

Déjà, le peuple avait pris l’habitude de se déchaîner au spectacle des combats de gladiateurs: “Pourquoi est-il si lâche à courir s’embrocher? pourquoi l’un est-il si peu hardi à tuer? Pourquoi l’autre met-il si peu de bonne volonté à mourir ?” répète, attristé, Sénèque écoeuré par la cruauté de ses concitoyens.
 


haut de la page

 
Le martyre de Saturus
Actes des martyrs de Félicité et Perpétue, dans ‘Les premiers martyrs dans l’Eglise’, coll. Les Pères dans la foi, Desclée De Brouwer, 1979

“Saturus, lui, avait la plus grande horreur des ours. Il comptait bien être tué, d’un coup de crocs, par un léopard. Or, on lança d’abord sur lui un sanglier, mais le chasseur qui avait déchaîné la bête sur le martyr fut éventré par la bête et mourut peu de jours après les jeux. Saturus fut seulement traîné sur le sable. On l’attacha ensuite sur le pond de l’estrade pour être livré à un ours, mais l’ours refusa de quitter sa cage. Une seconde fois, Saturus fut ramené sans blessure.
Pendant ce temps, Saturus encourageait le soldat Pudens, à une autre porte: “En fin de compte, lui disait-il, comme je l’espérais et le prédisais, je n’ai été touché jusqu’ici par aucune bête. Crois maintenant de toute ton âme. Le moment est venu où je vais m’avancer dans l’arène; d’un seul coup de dent, un léopard va me blesser à mort.” C’était presque la fin du spectacle; on lâcha contre Saturus un léopard, qui, d’un coup de crocs, le baigna dans son sang. La foule lui cria, comme pour témoigner du second baptême: “Le voilà bien lavé, le voilà sauvé!” Assurément, il était bien sauvé, celui qui était ainsi lavé dans son sang.”
 


haut de la page

 
Le martyre de Perpétue et Félicité
Actes des martyrs de Félicité et Perpétue, dans ‘Les premiers martyrs dans l’Eglise’, coll. Les Pères dans la foi, Desclée De Brouwer, 1979

“Le jour précédent le martyre je vois ceci en vision: le diacre Pomponio était venu à la porte de la prison et frappait avec force. Je sortis de devant de lui et lui ouvris: il était vêtu d’une tunique blanche sans ceinture et avait des sandales enlacées (nouée?)... Et il me dit: “Perpétue nous t’attendons, viens”. Et il me prit par la main et nous commençons à cheminer par des lieux abrupts et tortueux.
Nous atteignons enfin l’amphithéâtre et il me conduisit au centre de l’arène. Et il me dit: ‘N’aie pas peur: je suis ici avec toi et je combats avec toi.’ ...et je me réveillai, et compris que j’avais lutté non contre les fauves, mais contre le diable; mais je savais que la victoire serait mienne...
Pour les jeunes femmes on avait réservé une vache furieuse. Le diable avait inspiré aux bourreaux de se procurer cet animal inaccoutumé dans les jeux, comme pour mieux insulter leur sexe. On les enferma toute nues dans des filets et on les produisit ainsi dans l’arène. Le public en frémit de honte, en voyant que l’une d’elles était toute frêle, et que l’autre relevait à peine de couches, et perdait le lait de ses seins. Les ayant fait revenir, on les revêtit de tuniques sans ceinture.
Perpétue, la première, fut lancée en l’air. Elle retomba sur les reins. Dès qu’elle put s’asseoir, elle s’aperçut que sa robe était déchirée sur le côté, aussitôt elle la tira pour cacher ses jambes, plus attentive à la pudeur qu’à la douleur. Ensuite, elle chercha une épingle et rattacha ses cheveux, qui s’étaient dénoués; car une martyre ne peut pas mourir les cheveux épars, pour ne pas avoir l’air d’être en deuil, le jour de sa gloire. Puis elle se releva et aperçut Félicité qui semblait brisée; elle s’approcha d’elle, lui tendit la main et l’aida à se relever. En les voyant toutes deux debout, la cruauté inhumaine de la foule fut vaincue: on les fit sortir par la porte des Vivants.”
 


haut de la page

 
Justin
La Grande Apologie, 1,5-6

“Ils en usent de même envers nous. Car ce n’est pas seulement chez les Grecs et par la bouche de Socrate que le logos a fait entendre ainsi la vérité; mais les barbares aussi ont été appelés par Jésus-Christ.
On nous appelle athées. Oui certes, nous l’avouons, nous sommes les athées de ces prétendus dieux, mais nous croyons au Dieu très vrai, père de la justice, de la sagesse et des autres vertus, en qui ne se mélange rien de mal. Avec lui nous vénérons, nous adorons, nous honorons en esprit et vérité le Fils venu d’auprès de lui, qui nous a donné ces enseignements, et l’armée des autres bons anges qui l’escortent et lui ressemblent, et l’Esprit prophétique. Voilà la doctrine que nous avons apprise et que nous transmettons libéralement à quiconque veut s’instruire.”
 


haut de la page

 
Marc Aurèle
Pensées, II, 3, 2

“Qu’elle est grande l’âme qui est toujours prête, quand elle doit se séparer de son corps... Mais cette disponibilité doit se fonder sur l’intelligence des choses et non pas sur la simple obstination, comme chez les chrétiens. Elle doit être raisonnable, grave et digne, sans bruyante ostentation. C’est ainsi seulement qu’elle pourra convaincre les autres.”
 


haut de la page

 
Pape Damase
“Ici repose, si vous voulez le savoir, en rangs serrés, une multitude d’hommes pieux. Les tombes vénérables contiennent les corps de martyrs, mais le royaume des cieux a reçu leurs âmes. Ici reposent les compagnons de Sixte, qui remportèrent la victoire sur l’ennemi. Ici repose l’évêque qui vécut au temps de la longue paix. Ici reposent les saints confesseurs de la foi que la Grèce envoya. Ici reposent des adolescents et des enfants, des vieillards et leurs chastes petits-enfants qui choisirent de garder la virginité. Ici, je l’avoue, moi Damase, j’aurais voulu faire reposer mon corps, mais j’ai craint de troubler les saintes cendres de ces fidèles.” (Damase, Epigramme 12)

Texte latin:
“Hic congesta iacet quaeris si turba piorum
corpora sanctorum retinent veneranda sepulcra
sublimes animas rapuit sibi regia caeli.
Hic comites Xysti, portant qui ex hoste tropaea;
hic numerus procerum, servat qui altaria Christi;
hic positus longa vixit qui in pace sacerdos;
hic confessores sancti quos Graecia misit;
hic iuvenes puerique senes castique nepotes,
quis mage virgineum placuit retinere pudorem.
His fateor, Damasus, volui mea condere membra
sed cineres timui sanctos vexare piorum.”

 


haut de la page

 
Edit de Dioclétien, année 297
CGr 7 = CLMR 15,3,1-7

“Et puisque tous les genres de maléfices que dépeignent, avec évidence, ta sagesse dans le rapport sur leur religion ont été examinés par décrets et on été reconnus inventés, ainsi nous établissons des tribulations et peines dues et dignes d’eux. De fait nous ordonnons que les auteurs et les chefs ainsi que leurs abominables textes soient soumis à une peine plus sévère, à être brûlés sur les flammes. Ceux qui seraient d’accord et obstinés à ce point, nous ordonnons et établissons que leurs biens soient revendiqués par notre fisc.”
 


haut de la page

 
Eusèbe de Césarée sur les persécutions
“L’an dix-neuf du règne de Dioclétien, au mois de mars, à Pâques, les églises furent détruites.” (Chronique d’Eusèbe, Dioclétien, XIX, 304).

“C’était alors la dix-neuvième année du règne de Dioclétien, au mois de Dystre, c’est-à-dire de mars selon les Romains, à l’approche de la fête de la passion du Sauveur, lorsque partout furent affichés des édits impériaux qui ordonnaient de raser au sol les églises et de jeter les Ecritures au feu, et qui proclamaient déchus de leurs fonctions ceux qui étaient en charge, privés de la liberté ceux qui étaient en service chez des particuliers, s’ils demeuraient fidèles à leur profession du christianisme. Tel fut le premier édit contre nous; peu de temps après, d’autres édits nous attaquèrent qui ordonnaient tout d’abord de mettre aux fers tous les chefs des Eglises en tout lieu; puis ensuite de les forcer à sacrifier par tous les moyens.” (Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique VIII, 2, 4-5, début du IVe siècle).

“Les premiers édits furent de nouveau suivis par d’autres, selon lesquels les prisonniers qui auraient sacrifié avaient la permission d’aller en liberté, tandis qu’il était ordonné de tourmenter les résistants par mille supplices. Comment, cette fois encore, pourrait-on compter la multitude des martyrs dans chaque province et surtout en Afrique, en Mauritanie, en Thébaïde et en Egypte? Dans ce dernier pays, un certain nombre avaient déjà émigré en d’autres villes ou provinces; ils s’y distinguèrent par leurs martyres.” (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, VIII, 6, 10, début du IVe siècle)

“Ce fut tout récemment en effet que celui qui en avait reçu le pouvoir, comme s’il s’était éveillé d’une profonde torpeur, entreprit (la lutte) contre les églises, encore en secret et d’une manière invisible, après le temps qui s’était écoulé à partir de Dèce et de Valérien. Il ne commença pas tout d’un coup la guerre contre nous, mais il dirigea ses efforts seulement contre ceux qui étaient dans les camps (il pensait en effet prendre facilement les autres aussi de cette manière si auparavant il l’emportait dans le combat contre ceux-là). On put voir un très grand nombre de ceux qui étaient aux armées embrasser très volontiers la vie civile pour ne pas devenir des renégats de la religion du créateur de l’univers. Car lorsque le chef de l’armée, quel que fût celui qui l’était alors, entreprit la persécution contre les troupes, en répartissant et en épurant ceux qui servaient dans les camps, il leur donna le choix ou bien, s’ils obéissaient, de jouir du grade qui leur appartenait, ou bien, au contraire, d’être privés de ce grade, s’ils s’opposaient à cet ordre. Un très grand nombre de soldats du royaume du Christ préférèrent, sans hésitation ni discussion, la confession du Christ à la gloire apparente et à la situation honorable qu’ils possédaient.” (Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, IV, 2-3, début du IVe siècle)

“On rapporte qu’il fut le premier responsable du malheur de la persécution, et que, longtemps avant l’entrée en action des autres empereurs il obligea les chrétiens qui étaient aux armées et, avant tous les autres, ceux de sa propre maison, à changer de religion, privant les uns de leur dignité militaire, déshonorant les autres d’une façon odieuse et déjà menaçant de mort un certain nombre. Finalement il amena ses collègues impériaux à la persécution générale.” (Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, Appendice 1, début du IVe siècle)

 


haut de la page

 
Eusèbe de Césarée sur les martyrs de Palestine
“Au cours de la seconde année, la guerre (dirigée) contre nous devint plus violente, alors que le gouverneur de cette province était Urbanus. Tout d’abord des lettres impériales se succédèrent, d’après lesquelles il était ordonné, en vertu d’un édit général, à tous universellement et dans chaque ville, de sacrifier et de faire des libations aux idoles.” (Eusèbe de Césarée, Les Martyrs de Palestine, 3,1, début du IVe siècle)

“En effet, une seconde attaque contre nous eut lieu sous Maximin, dans la troisième année de la persécution dirigée contre nous. Pour la première fois, des lettres du tyran furent publiées, ordonnant à tous en masse de sacrifier une fois pour toutes et sans détour, par le soin et le zèle des magistrats de chaque ville. Dans toute la ville de Césarée, des crieurs publics appelèrent les hommes, en même temps que les femmes et les enfants, aux temples des idoles, en vertu de l’ordre du gouverneur, et en outre les tribuns firent l’appel nominal de chacun, d’après une liste.” (Eusèbe de Césarée, Les Martyrs de Palestine, 4,8, début du IVe siècle)

“Après ce châtiment, il fut jeté dans les fers, et là, il souffrit un temps très considérable; enfin, à l’occasion des vicennalia de l’empereur, selon une générosité en usage, on proclama partout la mise en liberté de tous ceux qui étaient dans les fers. Mais lui, les deux pieds écartelés dans les ceps jusqu’au cinquième trou, étendu sur le bois même, il fut seul à être étranglé et, ainsi qu’il l’avait désiré, il reçut la parure du martyre.” (Eusèbe de Césarée, Les Martyrs de Palestine, 2,4, début du IVe siècle)

 


haut de la page

 
Lactance
Un témoin oculaire, qui était à la résidence de Nicomédie, en Bithynie, écrit: “On cherche un jour approprié et favorable pour l’opération et le choix tombe sur les Terminalies, qu’on célèbre le 23 février. Cette fête semblait tout indiquée pour mettre un terme à cette religion. Ce jour fut, comme dit le poète (Enéide, IV, 169-170), “le premier jour de la mort, la cause première des désastre” qui devaient se déverser sur eux et sur le monde. Lorsque ce jour fut arrivé - les consuls étant deux hommes âgés, dont l’un était consul pour la huitième fois, l’autre pour la septième - le préfet se rendit subitement à l’église (de Nicomédie), accompagné de dignitaires de l’armée, d’officiers et de fonctionnaires du Trésor. On force les portes, on cherche l’effigie du dieu. On trouve les livres sacrés et on les brûle. L’autorisation de mettre à sac est donnée: on pille, on se déchaîne, on court en tout sens. Eux (Galérius et Dioclétien) observaient (car l’église était située sur la hauteur et on pouvait la voir du palais) et ils discutaient longuement pour savoir si le mieux n’était pas de mettre le feu à l’église. Dioclétien fit prévaloir son point de vue: il craignait qu’un grand incendie, une fois déclenché, ne se propageât à toute une partie de la ville, car beaucoup de grands bâtiments entouraient l’église. C’est pourquoi des prétoriens s’avancèrent en rangs serrés, munis de haches et d’autres outils; de tous côtés ils se ruèrent sur l’église et, en quelques heures, ils rasèrent jusqu’au sol ce sanctuaire majestueux.
Le jour suivant, un édit fut promulgué qui stipulait que les adeptes de cette religion seraient exclus de toutes les fonctions et dignités, qu’ils pourraient être soumis à la torture judiciaire, quel que soit leur rang ou condition, qu’ils pourraient être traduits en justice pour n’importe quelle cause, mais que, de leur côté, ils ne seraient pas autorisés à ester en justice dans des affaires de préjudice, de divorce et de vol, en un mot qu’ils n’avaient ni les libertés du citoyen ni le droit à la parole.” (Lactance, De la mort des persécuteurs, 12 et 13, début du IVe siècle)

“Dioclétien, fou de colère, ordonna de sacrifier non seulement à ceux dont c’était la fonction, mais à tous ceux qui se trouvaient dans le palais, et fit punir du fouet tous ceux qui s’y refuseraient.
Par des ordres écrits remis aux commandants d’unité, il força même les soldats à accomplir ces sacrifices infâmes: ceux qui oseraient s’y soustraire seraient chassés du service.” (Lactance, De la mort des persécuteurs, 10,4, début du IVe siècle).

 


haut de la page

 
Jérôme Carcopino
La Vie quotidienne à Rome à l’Apogée de l’Empire, Avènement du Christianisme

“Les Epîtres de saint Paul saluant ceux de ses frères qui sont dans la maison de César - in domo Caesaris - démontrent que, d’emblée, l’Apôtre avait recruté des disciples dans la domesticité des empereurs, parmi ces esclaves et ces affranchis qui, sous un air de spécieuse humilité, comptaient parmi les plus puissant serviteurs du régime. Quelques années plus tard, un faisceau d’indices concordants nous invite à penser que l’Eglise chrétienne était en train de pousser se annexions dans les classes dirigeantes. Tacite nous apprend que Pomponia Graecina, femme du consul Aulus Plautius, le vainqueur des Bretons, qui vécut sous Néron et mourut sous les Flaviens, avait été soupçonnée d’appartenir “à une religion criminellement étrangère” à cause de son austérité, de sa tristesse et de ses vêtements de deuil. Dion Cassius et Suétone nous rapportent que Domitien fit successivement poursuivre pour crime d’athéisme M. Acilius Glabrio, consul en 91, qui fut mis à mort, puis le couple de ses propres cousins germains, Flavius Clemens, consul en 95, qui fut condamné à la peine capitale, et Flavia Domitilla, qui fut reléguée dans l’île de Pandataria. Enfin Tacite note en ses Histoires que le propre frère de Vespasien, Flavius Sabinus, qui était préfet de la Ville “lorsque Néron métamorphosa les chrétiens en torches vivantes pour éclairer ses jardins, parut obsédé, vers la fin de sa vie, par l’horreur du sang versé”.
Certes, aucun de ces textes n’a formellement inscrit parmi les chrétien les grands personnages qui ont intrigué leurs auteurs. Mais il est légitime de se demander, avec M. Emile Mâle, si Flavius Sabinus, en sa hantise et sa modération, n’avait pas été gagné à la religion nouvelle par le courage des premiers martyrs romains; et il est plus probable encore qu’il nous faille sous-entendre le Christianisme aussi bien dans la religion étrangère qui avait été reprochée comme illicite à Pomponia Graecina que dans l’accusation d’athéisme portée contre des croyants que leur foi devait ostensiblement détourner de rendre leurs devoirs aux faux dieux du polythéisme officiel. En particulier, dans le cas de Flavius Clemens et de Flavia Domitilla, cette vraisemblance est encore augmentée du fait que leur nièce, nommée Flavia Domitilla comme sa tante, fut au témoignage d’Eusèbe, internée pour crime de Christianisme dans l’île de Pontia. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, et à supposer qu’on veuille, avec certains critiques radicaux, abaisser au deuxième tiers du IIe siècle la catacombe de Priscilla, où survécut le souvenir des Acilii Glabriones, la crypte de Lucine où fut découverte une inscription grecque postérieure au nom d’un certain Pomponius Graecinus, et la tombe de Domitille, dont le nom évoque invinciblement le souvenir des victimes de Domitien, il est impossible d’écarter la présomption que crée en faveur de conversions retentissantes advenues dès la fin du Ier siècle la convergence des rapprochements qu’aperçut De Rossi; et il demeure établi, en dehors de toute contestation, que l’entourage de plusieurs grands de ce monde s’en était allé, avec leurs encouragements et dès le règne d’Hadrien (117-138), grossir, à l’appel du Christ, les rangs de son “église” romaine.”
 


haut de la page

 
Thomas Becket
Texte écrit de la main de Christophe et affiché à la porte de la chapelle du monastère, Thibirine, les veilleurs de l’atlas, robert Masson, cerf, Paris, 1997

Un martyr chrétien n’est pas un accident. Encore moins le martyre d’un chrétien peut-il être l’effet de la volonté de l’homme de devenir un martyr, comme un homme, à force de volonté et d’efforts, peut devenir un chef. Un martyr, un saint est toujours fait par le dessein de Dieu, par son amour pour les hommes, pour les avertir et les guider, pour les ramener à ses voies. Un martyr n’est jamais le dessein de l’homme car le vrai martyr est celui qui est devenu l’instrument de Dieu, qui a perdu sa volonté dans la volonté de Dieu, qui ne l’a pas perdue mais trouvée, puisqu’il a trouvé la liberté dans la soumission à Dieu. Le martyr ne désire plus rien pour lui-même, pas même la gloire de subir le martyre.
 


haut de la page

 
  Documents associés : 
Lieu : 
Le Circo Massimo
Histoire : 
Les premières persécutions
L’ébranlement de l’empire
Les jeux du cirque
L’adoration de Rome
L’aggravation du conflit de l’Empire et des Chrétiens
La fécondité du martyre
La persécution générale
Sens actuel : 
Canonisation des Martyrs de l’Ouganda
Signes de la foi : 
Le culte des martyrs